Phil La Marmotte 

3 - La prise en charge sans cadre juridique une difficulté où l’éducateur est confronté à sa prise de « risque »  mais surtout celle de l’enfant !

 

           

Ma. 7 ans et demi est admis à la mi-octobre 1999 au foyer en urgence sans préparation préalable à la demande de la famille en particulier de la mère. Celle-ci évoque comme raison l’alcoolisme de son mari, l’ASE parlera de fragilité psychologique du père.

Le jour de l’accueil, je suis présent et par ce simple fait, je prends cet enfant en charge avec une collègue (cet enfant). Je deviens donc second référent.

 

Très peu d’informations concernant Ma. nous sont communiquées. Nous sommes pendant quelques temps dans un flou total sur la situation familiale de cet enfant.

La référente de l’ASE et notre équipe sont frustrées par le manque de nouvelles concernant la raison réelle de ce placement.

Tout ce que nous connaissons sur la situation familiale vient de ce que peut dire la mère de l’enfant.

Celle-ci parle d’une certaine violence du père lorsqu’il a bu et de ses difficultés à se contrôler dans ces moments là. Il aurait d’après la mère fait deux tentatives de suicides devant Ma.

 

Pour protéger son fils de ce climat violent lorsque le père est alcoolisé, cette dame a demandé  (loi du 10 juillet 1989) la protection administrative, tout en conservant ses droits parentaux.

 

Dés le début du placement, Ma est apparu comme un petit garçon très agité.

Plutôt volubile, il parvient difficilement à se concentrer longtemps sur une activité.

 

 

 

Il oscille entre des comportements de tout-petit, se blottit contre l’adulte, son pouce dans la bouche avec son « Nin-Nin », et des moments où il fait preuve d’une certaine maturité, utilisant un langage d’adulte avec des réflexions qui étonnent dans la bouche d’un enfant de 7 ans.

Dans des périodes de grande excitation son corps est en perpétuel mouvement et son visage grimaçant.

 

Dans les premiers jours du placement il arrivait à Ma. de mimer des scènes où il titubait comme une personne saoule.

Ma. entre en relation avec les autres toujours de la même manière de façon ironique et parfois blessante et ne comprend pas alors pourquoi les autres enfants le rejètent agressivement.

 

Avec l’adulte, Ma. apprécie la relation duelle car il semble plus à l’aise et serein.

 Dés que le groupe devient trop important pour Ma., il est difficile de le contenir (débordements de langage et corps) et il semble montrer une certaine insécurité.

Cela dit, Ma. ne nous  parle pas de ce qu’il a pu vivre.

 

Lors du premier départ en week end, la maman de Ma. m’a confié : « On va faire un essai pour ce week end avec Ma., mon mari ne boira pas !».

Je me suis permis de dire à la mère de Ma. que son fils ne pouvait se permettre d’être l’objet d’essais et qu’il fallait peut être trouver un accord quant aux différentes sorties de son enfant.

Nous avons alors décidé avec la mère d’espacer un peu les sorties en week end afin que Ma. puisse se poser un peu.

 

Nous avons fonctionné pendant quelques week ends comme cela et apparemment tout semblait bien se passer.

Ma. n’évoquait que très peu ses week end en famille et seul les retours que nous avions par rapport au week end provenaient de la mère.

 

Décembre 1999

 

A plusieurs reprises, j’ai constaté, ainsi que mes collègues, l’état et l’odeur d’alcool de la mère au retour de week end. Celle-ci évoque d’ailleurs des repas entre voisins.

Cela nous a un peu alerté sur ce qui pouvait se passer dans cette famille, car la mère elle aussi semblait boire.

Nous avions d’ailleurs assez peur parfois de laisser partir Ma. en week end et prenions des informations auprès de la mère de Ma. pour savoir si le climat n’était pas trop « risqué ».

Heureusement la mère restait honnête quant à la situation et à deux reprises a préféré ne rendre qu’une simple visite à son fils plutôt que de lui faire assister à des scènes alcooliques et dangereuses du père.

Nous étions confrontés à une certaine prise de risque lorsque Ma. sortait en week end même si administrativement la mère en avait parfaitement  le droit.

Seul l’éducateur présent à la sortie de Ma. « régulait »  les sorties en fonction de l’état du père que voulait bien nous indiquer la mère. Elle nous entendait lorsque nous lui disions qu’il serait peut être préférable que Ma. reste au foyer.

A plusieurs reprises, j’ai été confronté à prendre une décision, à savoir de ne pas laisser partir Ma. car la situation me semblait risquée.

 

Janvier 2000

 

Alors que Ma. était sorti vers 14h00 avec sa mère, celui-ci est revenu au bout de deux heures au foyer, la mère évoquant l’état d’ébriété et de violence du père.

Ma. paraissait assez choqué d’avoir vu à nouveau son père dans cet état et s’est mis de suite sur son lit replié sur lui-même, le pouce dans la bouche et son « Nin-Nin » dans les bras.

 

 

 

Peu de temps après dans la soirée, madame nous a appelés au téléphone pour nous faire-part que son mari avait tenté de se suicider après avoir tout cassé chez eux.

Celle-ci dans ce moment difficile s’est laissée aller à nous raconter qu’un soir de mai 99, le père de Ma. avait encore bu et avait tenté de tuer son fils.

A cette époque madame a confié son fils à sa mère qui décéda un plus tard en août 99. Ma. retourna chez lui, mais rapidement le climat de violence qui semblait avoir disparu réapparut à nouveau. Notons aussi que plusieurs signalements courant avril 99 ont été faits par l’école.

 

Dés le lendemain nous avons fait un courrier au procureur de la république et mis au courant l’ASE  concernant les dangers encourus par cet enfant lors des retours en famille.

 

Deux jours plus tard, le juge s’est saisi de cette affaire et a ordonné un Ordre de Placement Provisoire (OPP) pour une durée d’un an.

Les visites sont autorisées sans limite en fonction de notre fonctionnement et les sorties du foyer chez Monsieur et Madame interrompues.

Le juge a précisé que Ma. pourrait rentrer au domicile qu’à condition que Monsieur et Madame entament une cure de désintoxication et un suivi psychologique.

Une évaluation sera effectuée dans six mois pour connaître la progression de Monsieur et Madame.

 

Février 2000

 

Depuis cet OPP, Ma. évolue de mieux en mieux, il est beaucoup plus dans la parole et nous livre des morceaux de vie ô combien difficiles de ce qu’il a pu vivre lorsqu’il était chez lui.

 

 

Son comportement est un peu plus calme depuis qu’il a pu partir en camp avec cinq autres de ses camarades.

Il a su se faire accepter par le petit groupe dans lequel il était. Ses crises d’agitation sont toujours présentes et sont encore parfois difficiles à contenir.

 

Nous envisageons pour Ma., après un bilan d’observation, une orientation vers une Famille d’Accueil Spécialisé afin qu’il puisse retrouver un cadre sécurisant et se construire un avenir.

Ce projet de placement a été proposé à Ma. et à sa famille à la suite d’une réunion à la STASE.

 

Mars 2000

 

J’ai pu constater avec mes collègues que depuis quelques temps les visites de la mère de Ma. devenaient de plus en plus rares et progressivement s’espaçaient. Les parents auraient-ils fait le choix entre l’alcool et leur fils? En effet s’ils se soignent le retour de Ma. pourra s’envisager, par contre bien évidemment si aucun effort n’est fait, Ma. risque de rester longtemps ailleurs que chez lui. Tout notre travail va maintenant être de maintenir les liens entre Ma. et ses parents, pour lui éviter un climat abandonnique qu’il semble ressentir lorsque arrive la fin de semaine et qu’il angoisse à ne pas avoir de visite.