Phil La Marmotte 

2-  Le temps facteur de réussite d’un placement

 

-         Histoire de V et ses multiples placements (répétés).

 

V. est admis au foyer en septembre 1999 suite à une réquisition du procureur de la République.

V. est accompagné de sa mère et d'une éducatrice du groupement (service mandaté de 1' A.S.E.).

Etant présent ce jour-là, je me charge avec le chef de service et un collègue de l'accueil et de l'admission de ce jeune.

V. nous est présenté comme un jeune adolescent caractériel mettant en échec tous ses placements.

(selon son dossier)

V. est né en 1987 en Algérie de Madame L. et de Monsieur S. ex-ami de celle-ci. De cette union sont nés 3 enfants une sœur née en 1985, un frère né en 1986 puis V.

Outre cette fratrie, V compte aussi d'autres demi-frères et demi-sœurs, dont certains sont déjà mariés.

V. est le dernier enfant d'une fratrie de 11.

 

Monsieur L. père des demi-frères et demi-sœurs d' V., premier époux de Madame L. est décédé en 1986.

Monsieur S père de V l'a reconnu. V. dit n'avoir jamais vu son père.

 

Madame L. est allée accoucher en Algérie où elle aurait laissé le soin de l’éducation d’V. à sa mère (grand-mère de V.). A la mort de celle-ci, V. avait 3 ans. Madame L. décide de faire venir en France V. et son frère.

  

En janvier 1995

 

Madame L. signe un accueil temporaire à 1' A.S.E. pour V. tandis que son frère plus âgé reste au domicile.

 

Quasiment tous les enfants de Madame L. ont été placés à l'aide sociale à l'enfance à différents moments.

Madame dit avoir de grosses difficultés pour assumer ses enfants (personne relativement âgée et fatiguée).

 

En octobre 1995

 

Madame D., juge des enfants, prend une mesure confiant V. et son frère à l'A.S.E. Cette mesure n'a pas été respectée.

 

En juillet 1996

 

Madame L. confie ses enfants (V. et son frère) au foyer pour le mois de juillet. Madame étant partie en Algérie sans donner signe de vie, une nouvelle mesure judiciaire est prise.

 

En août 1996

 

Les enfants sont placés au foyer d'accueil d'urgence. Pour des problèmes relationnels entre les deux frères, V a été orienté à la rentrée scolaire de septembre 1996 au foyer Y.

 

Suite à un échec, il a été orienté quelques mois après au foyer Y. En fin d'année scolaire, l'établissement s'est adressé à nouveau au juge pour signifier l'état d'abandon dans lequel était V.

 

En juin 1998

 

Madame L. fait la demande de reprendre ses enfants. Démarche rejetée par le juge, Madame L. prend ses enfants pour la période d’été et part avec eux en Algérie. A son retour, Madame L. ne souhaite plus reprendre ses enfants.

V. est orienté au foyer X. V. a passé ses vacances d'été 1998 avec sa mère en Algérie.

Au retour dans l'attente d'une nouvelle orientation et une prise de décision du juge, V est resté chez sa mère.

 

 

Peu de temps après Madame L. s'est rendue au service de 1' A.S.E. pour annoncer qu'elle ne pouvait pas assumer la charge de son fils et demandait son placement.

 

V. a été admis de nouveau en urgence au foyer en septembre 99.

 

- V. au foyer de l’enfance.

 

Quelques jours après son admission au foyer d'accueil d'urgence un jugement du tribunal pour enfant est rendu, confiant V. à 1' Aide sociale à l'enfance pour une durée de 18 mois.

(Notons que ce genre de mesure est relativement rare car les OPP sont généralement prononcés pour 6 mois et renouvelés après examen de la situation)

 

Cependant, dans le cas de V. il s'agit d'une mesure d'assistance éducative prononcée par le juge des enfants qui peut aller jusqu'à 2 ans. Elle peut être renouvelée par décision motivée. (Article 375 C.C.).

 

V. nous a été présenté à la lecture de son dossier, comme un enfant fonctionnant sur un mode de perversion.

De plus les travailleurs sociaux ayant suivi cette situation nous informent d'un doute de la filiation paternelle et maternelle de  V., malgré son état civil officiel.

 

Il semblerait que ce doute trouve sa source non seulement dans les dires « très confus et contradictoires » de Madame L. lorsqu'elle parle de ses motivations pour avoir fait venir V. en France, mais aussi au regard de l'âge important qu'elle ait eu à la naissance de celui-ci. Selon certains documents Madame L. aurait eu 55 ans à cette période.

Physiologiquement parlant, une femme peut avoir un enfant au-delà de 50 ans !

On ressent le climat de « non dit » dans lequel baigne V.

 

« V. se présente comme un garçon à l'attitude réservée dans un premier temps, mais lorsqu'il se sent en confiance, il révèle un tempérament agité ».

V. souhaitant gérer sa vie selon ses propres désirs, se trouve en butte à l'autorité de l'adulte. Il s'engage dans des attitudes de provocation. Il a alors du mal à maîtriser une situation qui le dépasse et bascule dans la colère.

 

V. est capable d'alterner agressivité et attitudes agréables où le charme intervient voir la plaisanterie.

 

Ses relations conduites de manière passionnelle sont très fluctuantes. Il a tendance à marquer physiquement son autorité sur les plus jeunes ce qui l'entraîne alors dans de sérieux débordements. Il s'identifie souvent à un chef de bande et s'implique dans des chahuts."

 

V. avait une image de lui très dépréciée. Il se vivait comme le mauvais élément. Il était nommé par sa mère comme « le mauvais fils », l’enfant symptôme en quelque sorte.

 

Cette situation générait chez lui une grande agressivité et un comportement asocial qui avait du mal à s'insérer dans le tissu scolaire et institutionnel.

 

L'équipe éducative a tout de suite souhaité casser cette image très négative en proposant à V. un nouveau départ, un temps pour pouvoir vivre autrement. C'est donc autour de cette dynamique que notre travail s'est axé.

 

-L’accompagnement éducatif quotidien : un engagement.

 

Je n'ai pas voulu être seulement l’énième personne que V. rencontrerait dans la suite logique dans laquelle il était inscrit (placements répétitifs).

Je souhaitais être un autre, faire autrement, ne pas reproduire ce qui dans son histoire était synonyme d'échec.

C'est-à-dire, être dans un passage à l'acte (exclusion) en réponse à ses passages à l'acte (violence).

 

V. était peu éloquent, il ne disait rien de son histoire et rien de ses attitudes parfois violentes.

C'est en hors-la-loi que V. semblait vouloir exister, c'est en pré-adolescent responsable que je voulais le voir évoluer. Cette raison me semblait suffisamment bonne pour éviter de gros conflits. Je lui rappelais les règles fixées (ainsi que mes collègues), et les risques qu'il encourait, sans toutefois rester campé sur une position de « chien de garde ».

 

Nous observions que V. utilisait les limites de l'équipe parfois de façon perverse pour déclencher des crises chez certains plutôt que d'autres.

V. a progressivement créé un clivage où nous (mon collègue, autre référent de la situation et moi) étions les « bons » éducateurs et les autres les « mauvais ».

Ce phénomène lié non seulement à la problématique abandonnique de V mais aussi à la période d'adolescence dans laquelle il était, a eu parfois des effets négatifs dans l'équipe. Cela a créé une charge émotionnelle où nous nous sentions les uns et les autres remis en cause. Très vite la réflexion et le bon sens ont trouvé leur place face à ce phénomène.

En effet nous avons pu comprendre et observer ce que V. tentait non seulement de nous faire jouer pour reproduire sa problématique d'échec, mais ce qui était sans doute lié à un processus de développement en s'identifiant à nous, ses éducateurs référents.

 

Ce clivage parfois exaspéré par V. était aussi pour nous l'occasion d'entendre qu'il y avait une « part » de l'institution qui lui permettait une identification possible et positive.

Ainsi nous pouvions nous mettre au travail, à la recherche du sens. C'est-à-dire permettre à V. de faire que cette identification lui soit bénéfique pour son processus de maturation.

 

Puisque nous étions les « bons » c'est que nous pouvions donc l'aider. C'est ainsi que nous avons convenu d'un temps de parole entre V. et nous.

 

Le lundi soir durant 1heure de 17h à 18h nous souhaitions que V. parle, pour qu'il fasse au moins l'effort de s'arrêter pour comprendre et réfléchir plutôt que d'être dans l'agir, dans l'acte.

 

Il avait tant de choses à dire:

Parler des conflits affectifs et des cicatrices que cela laissait. Parler de la douleur des dents de la mère (c'est en fait ce qu'elle a dit au juge pour justifier le fait qu'elle ne puisse pas garder son fils).

Parler aussi du désir de l'équipe, du nôtre mais aussi celui des autres.

Puis faire que la parole soit le véhicule de tous ses maux.

 

Lourde tâche certes mais ô combien importante

Ce que nous ne voulions pas, c'était faire de ce lieu, un espace de parole substitutif à un espace analytique, notre rôle n’est pas bien sûr  celui de psychanalyste ! Nous ne voulions pas un espace où nous aurions travaillé essentiellement autour des phénomènes imaginaires. Un espace où la demande du sujet aurait été adressée à nous pour en faire une lecture.

Non notre objectif était de permettre à V. de prendre une part active dans son projet de vie et c'est à partir du transfert qui existait dans la relation entre V. ses référents et moi-même que ce lieu de parole pouvait avoir des effets thérapeutiques.

 

Nous avons oeuvré de façon à valoriser V., en lui signifiant les éléments positifs de son comportement et de ses efforts fournis. Au départ nous étions pris par l'urgence institutionnelle qui voulait « profiter » de ce lieu pour en faire un tribunal où nous jugerions les mauvais agissements de V.

Cela s'est souvent produit au début puis, après quelques explications en réunions d'équipe, nous avons annoncé à l'équipe qu'il nous semblait nécessaire de ne pas faire de ce lieu un lieu exécutoire des différentes recommandations des membres institutionnels.

Il  fallait que cet espace soit avant tout un espace de construction et de confiance.

 

Ainsi progressivement, les mots (maux) à transmettre à V. se faisait moins nombreux dans notre cahier de communication. Nous avons pu constater 3 mois après la mise en place des rencontres que V. était plus investi et dynamique lors des discussions en acceptant plus facilement que nous différions nos réponses d'une séance à l'autre quand cela était nécessaire.

Nous avancions petit à petit vers la construction d’un projet de vie dans lequel il pourrait s'inscrire.

Cependant il fallait, parler avec lui de sa réalité familiale, de la difficulté que sa mère avait à lui dire qu'elle n'envisageait pas de le reprendre.

 

V. avait du mal à entendre cela tout en disant qu'il était détenteur d'un secret qu'il ne dira qu'à la mort de Madame L. pour ne pas lui causer de problème. Y avait-il un lien entre cela et le doute que nos prédécesseurs avaient à propos de la filiation de V.?

 

Nous n'avons pas cherché à insister n'ayant que très peu d'éléments sur la nature de ce doute. De plus V. ne semblait pas prêt à en parler.

Nous lui avons dit surtout à ce moment là en quoi un espace thérapeutique à l'extérieur de l'institution pouvait lui être favorable.

En effet ce lieu pouvait lui garantir le maintien de son secret ; chose que nous ne pouvions pas lui garantir.

 

V. savait que l’équipe échangeait lors des réunions de synthèse des observations, des impressions et questionnements divers le concernant. De ce fait son secret ne pouvait être gardé. Ceci pose ainsi, pour lui les limites de notre place réelle et/ou imaginaire et nous situe donc dans une fonction précise.

En effet, nous lui disions par 1a même que nous n'étions pas tout puissants.

Cette désillusion s'inscrit ainsi pour lui dans son processus de maturation. Par ailleurs, cette limite nous rappelle la place réelle et symbolique que l'éducateur occupe.

 

Nous ne sommes pas ce substitut parental dans lequel le fantasme de la toute puissance paternelle trouverait sa place, mais bien « un relais parental permettant que l'image paternelle soit réhabilitée »16.

 

Cinq mois après son placement au foyer, au retour d'un week-end, sa maman, Madame L. a pu nous dire qu'elle avait réfléchi et qu'elle ne souhaitait plus reprendre V. Elle pensait qu'il serait mieux ailleurs et jusqu'à sa majorité.

 

V. a du "essuyer" une période difficile, cela s'est traduit par des passages à l'acte (vols, contestations, violences, etc...) parfois lourds de conséquences.

Il avait besoin, plus qu'auparavant, d'être contenu, dans ses phases de débordements. Il avait besoin de nous tester et de mesurer le degré d'implication et d'amour que nous pouvions avoir pour lui.

 

Il me semble que V. voyait en moi un "grand frère". C'est d'ailleurs comme cela qu'il parlait de moi à ses camarades d'école lors de mes visites. V. me sollicitait de plus en plus, il avait sur certains points régressé attendant de moi une présence plus importante (sorties, coucher...).

 

Le passé de V. nous l'avions abordé à plusieurs reprises depuis son placement mais sans vraiment jamais dépasser la barrière émotionnelle.

Fallait-il face à cette charge émotionnelle être impassible, rester à l'écart en s'assurant de ne pas être « touché » ?

Ou fallait-il alors se laisser submerger à en devenir aveugle ?

 

J'ai, je crois, tenté de gérer ces deux positions extrêmes, en prenant une distance « suffisamment bonne » pour y faire face et aider V. à faire "le deuil" d'un retour en famille, en égard à sa réalité familiale.

La régulation en équipe a permis une prise de distance nécessaire pour rester dans une démarche objective, évitant ainsi l’enfermement dans l’affectif.

 

- Prendre le temps au-delà de la crise

 

Nous abordions avec V., les différentes possibilités d'orientation.

Nous souhaitions qu'il prenne conscience qu'il n'était pas « le mauvais objet », mais plutôt porteur d'un symptôme et pris dans l'engrenage de la pathologie familiale: chose qui n'est pas si simple, surtout quand les enfants « collent » à la pathologie familiale et ne trouvent pas la place pour se « détacher ».

 

Ce travail est long, le temps nous est compté. D'autant plus dans une institution habituée à travailler sur un temps de prise en charge déterminé. Ce temps, nous l'avons vu, est en règle général de 6 mois.

 

Bien que la durée de la mesure dont V. bénéficie, était plus importante (2 ans).

 

Le foyer d'accueil d'urgence et plus particulièrement face aux débordements de V. a trouvé ce temps bien long (V. est resté 7 mois au foyer).

 

Cependant pour que l'institution ne lui fasse pas revivre ce qui dans son histoire tourne autour de l'abandonnisme, il fallait s'engager (et nous l'avons fait) à faire de ce lieu un tremplin pour l'avenir et non un lieu de « dépôt », le 8ème avant une autre « consigne ».

 

V. a été orienté en mars 2000 sur un lieu de vie, il a participé à cette orientation et à ce choix.

L'orientation s'est faite en « douceur » afin de le préparer à ce nouveau lieu (visites, puis période d'un mois, avant de se positionner). Nous avons par ce travail souhaité que sa situation ne soit plus synonyme d'urgence et d'exclusion.

 

De ce fait nous avons dit à V. que sa place était « gardée », que sa chambre ne serait pas utilisée lors de son absence, et qu'il pourrait en cas d'échec réintégrer sa place.